La poursuite de l'éducation et de l'aventure à parts égales a conduit un jeune antillais qui vivait dans un village de pêcheurs sur la côte atlantique d'une petite île des Caraïbes, à se lancer dans le voyage de sa vie. En 1951, quittant le « continent de Tobago », comme il aimait le nommer, pour aller à la métropole animée de Montréal, un Eldon Williams exceptionnellement brillant a suivi des études de premier cycle et de médecine à l'Université McGill. Il est arrivé avec un grand optimisme, tout en reconnaissant la réalité des préjugés raciaux, mais sans se laisser tempérer par ceux-ci. Eldon était souvent confronté au défi de faire partie d’une « minorité visible », notamment en tant qu'étudiant en médecine, où les Noirs n'étaient généralement pas considérés comme un groupe légitime des soi-disant « professions ». En effet, jusqu'en 1947, les hôpitaux de Montréal n'acceptaient pas les étudiants noirs en médecine pour la résidence, et même à la fin des années 50 et bien au-delà, il y avait encore un élitisme dans ces programmes qui en restreignait l'accès. En 1958, après l'obtention de son diplôme, Eldon a pu trouver des postes de résident au Queen Mary Veteran's Hospital, au Reddy Memorial Hospital et à l'Hôpital juif de Montréal, et a été affilié à ces institutions après son entrée en pratique en 1962. Désormais le Dr Williams en 1968, il s'est installé à Toronto avec son épouse Rosalind et leurs cinq enfants et a bâti deux cabinets médicaux et chirurgicaux prospères; un au cœur du centre-ville dans la Petite Italie et l’autre, dans les banlieues de l’est de Scarborough. En 92 ans, jusqu'à son décès en janvier 2021, il a laissé en héritage une vie entière de service et de dévouement à sa famille multigénérationnelle, à ses patients et à sa communauté locale et globale.
Mon père – le Dr Williams – a une histoire similaire à celle de nombreux immigrants au Canada, y compris ceux d'origine afro-caribéenne ou africaine, qui ont apporté leur passion et leur enthousiasme combinés à une solide éthique du travail, à un talent et à une résilience sans limites. Nombre d'entre eux ont connu une grande réussite, en surmontant notamment les véritables difficultés liées à la discrimination et ont fait grandir leur famille, inculquant à leurs enfants le même respect pour l'éducation, l’éthique du travail et la communauté. Cependant, bien que la voie ait été bien tracée par les immigrants noirs et les multiples générations de communautés noires canadiennes (même avant la Confédération), la capacité à réussir en tant que communauté et à être inclus dans le courant économique, la santé et l'éducation est toujours entravée par les défis permanents du racisme systémique.
Le Mois de l'histoire des Noirs est l'occasion d'honorer, de se souvenir, de reconnaître et de célébrer les contributions des Canadiens noirs (citoyens de naissance et immigrants), ainsi que cette histoire riche et critique. Comme l'écrit le romancier canadien Lawrence Hill, l'histoire des Canadiens d'origine africaine s'étend sur quatre cents ans, incluant le péché originel de « l'esclavage ainsi que l'abolition, l'esprit pionnier, la croissance urbaine, la ségrégation, le mouvement des droits civils et un long engagement dans la vie civique ». Alors que cette histoire dense et compliquée ne devrait jamais être réduite à un seul mois, nous voulons célébrer ces réalisations avec un respect pour les grandes opportunités et les défis qui sont encore en cours, et qui sont tous mis en évidence au cours du « Mois de l'histoire des Noirs ».